Dévoilement d'une plaque commémorative : discours de Monsieur René-Louis Thomas (journaliste)

Dévoilement d'une plaque commémorative : discours de Monsieur René-Louis Thomas (journaliste)

« Les vieux camarétois savent bien que le maire de Camaret et moi ne vivons pas tout à fait sur la même planète politique. Mais la politique n’a rien à faire, ici et maintenant, et je suis heureux et fier d’être à ses côtés, car Philippe de Beauregard et son conseil ont exaucé le vœux de toute une existence, avec ce geste fort qui honore mon village… et nous dépasse tous » René-Louis THOMAS.

 

Dévoilement d'une plaque commémorative en souvenir des familles juives réfugiées à Camaret, puis déportées : retrouvez le discours de Monsieur René-Louis THOMAS (journaliste) qui a été lu par Monsieur Henri TROUILLET

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« Monsieur le maire, Mesdames et Messieurs,
 
Je lis ce texte à la demande de René-Louis Thomas, à l’origine de cette cérémonie, qui doit rester auprès de son épouse gravement malade.
 
Natif de Camaret-sur-Aygues et viscéralement attaché à son village, le journaliste provençal René-Louis Thomas, aujourd’hui retraité, ami de Serge Klarsfeld, a consacré plus d’un demi siècle à la « mémoire de l’Holocauste » et, notamment, à la place des enfants dans la Shoah. Il s’occupe encore aujourd’hui de maisons d’enfants et de la lutte contre l’esclavage moderne des enfants, industriel, sexuel et guerrier.
 
Il a créé en 2009 le premier « Appel des Justes », complété par la présentation de l’insoutenable exposition « Les enfants dans la Shoah » et clôturé par la pose d’une plaque sur la maison natale de Marie Banc (en religion, Mère Marie des Anges), Juste parmi les Nations. Trois journées mémorielles avaient été organisées à Plats (Ardèche), intégrant également une exposition de la Maison du Patrimoine Arménien de Valence, consacrée au génocide arménien…
 
Et cela, sur les propres terres d’élection du vauclusien Xavier Vallat, auteur des lois anti-juives qui étonnèrent même certains responsables nazis par leur dureté !
 
Il était de ceux qui estimaient qu’il était indispensable de « tuer aussi les petits »...
 
Une période noire qui revient en mémoire quand on constate la montée actuelle de l’antisémitisme principalement alimentée par d'autres religions.
 
Dès les années 1955 – 1970, le futur journaliste s’était intéressé au sort des enfants juifs de son village natal et avait progressivement et difficilement accumulé un certain nombre d’informations qu’il a pu recouper .
 
Toujours en 2009, il a suggéré à la mairie d’apposer une plaque mémorielle au nom de l’enfant Albert Zaks et a souhaité consulter les archives municipales (ce qu’il avait fait rapidement et superficiellement sous les mandatures Vigouroux, Devine et Roussière) afin de procéder à certaines vérifications.
 
Il a été estimé « qu’il ne fallait pas remuer tout ça ».
 
La plaque n’a pas été apposée et la demande n’a pas été renouvelée.
 
« Tout ça », c’est quoi ? et « Albert Zaks », c’est qui ?
 
Tout ça... Camaret-sur-Aygues, 1940-1944. Grâce à un maire intelligent et soucieux du bien-être de ses administrés, le village n’a pas à souffrir des exactions de la soldatesque ennemie, d’autant que son « patron », officier de la Luftwaffe hébergé et choyé chez le bon notaire, n’a rien du nazi exalté.
 
C’est un village sans histoires qui attend que ça passe. Le problème, c’est la bouffe, mais, malgré les restrictions, il y a pire ailleurs. La campagne a des ressources, on joue à cache-cache avec l’occupant pour trucider le mouton ou le nourrain, l’élevage des lapins devient systématique et un discret marché noir complète le tableau... qui n’a rien de déshonorant.
 
Les femmes font des colis pour les prisonniers, les hommes esquivent le STO et quelques uns rejoignent les maquis, surtout en 44. La routine.
 
Des Juifs ? Quésaco ?
 
Il y a bien eu, pour la Saint-Barthélémy 1942, cette descente de la gendarmerie d’Orange venant courtoisement quérir les Jéruchemson-Berenblit (des noms à coucher dehors !). Des gens fort discrets dont les enfants, Hélène, 13 ans et Albert, 4 ans, étaient pourtant bien connus des écoliers de l’époque. Parents et fille ont pris le convoi 29 (les Milles, Drancy, Birkenau) avant de partir en fumée.
 
C’était la guerre et on ne savait pas tout.
 
Albert Zaks En 1944, en revanche, on savait beaucoup de choses. Et ceux qui voulaient savoir savaient tout. Surtout ceux qui allaient à la messe, où l’on avait lu la courageuse et lumineuse adresse du primat des Gaules, le cardinal Pierre Gerlier, Juste parmi les nations...
 
Comme la famille Jéruchemson-Berenblit, la famille Zaks, à laquelle elle était liée, avait un grave défaut : elle arrivait d’Anvers où elle avait exercé le métier de diamantaire. Juif et diamantaire : le fantasme absolu !
 
Ceci explique, peut-être, pourquoi - alors que les nazis locaux ne demandaient rien et avaient d’autres soucis en 1944 - quelques uns s’aperçurent qu’un Zaks habitait « encore » Camaret et le dénoncèrent. Ses malheureux parents et sa sœur ne pouvaient peut-être pas échapper au grand voyage inauguré par le papa, Hersch, (convoi 30, suivant celui de son beau-frère précité), mais l’enfant Zaks aurait pu, aurait du « passer à travers » en juin 1944.
 
Après sa maman Elka (née Berenblit) et son oncle, Albert Zaks est donc parti entre les gendarmes et a fait partie d’un tout dernier convoi de la mort, le N° 76. Orange, Marseille (avec peut-être une vue fugace sur la mer, par une fente du wagon à bestiaux) et puis le dernier voyage : manque d’air, d’eau et de nourriture, promiscuité, entassement, pestilence, cadavres, déjà, puis Auschwitz-Birkenau...
 
Les cris, les chiens, le tas de petites chaussures, la mise à nu, le détail de l’Histoire, la fumée d’un Ange.
 
Albert avait six ans. »
 
SOURCES :
 
- Archives départementales – Etrangers 1942-1943 / Camaret 281 (Merci à M. Cotton)
- Archives de l’Évêché (Merci à l’abbé Jean-Noël Roux)
- Archives de Camaret (Merci à MM. Vigouroux, Devine et Roussière)
- LES ENFANTS DANS LA SHOAH (Merci Serge Klarsfeld)
- Souvenirs personnels (Merci à Mmes Chabot et Roure, MM. Bouche, Thomas, Gourdon, Auric, Dunant, chanoine Lucien Vasse, Brun, Chrétien, Clément de Piolenc).
- Bruno Tognarelli – AMEJDV 2009